
Arabie saoudite 2.0
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L’Arabie saoudite connaît une transformation d’une ampleur sans précédent, portée par la Vision 2030. Derrière cette modernisation spectaculaire se joue une redéfinition profonde de son modèle économique, diplomatique et sociétal. Un repositionnement stratégique qui place Riyad au cœur des dynamiques de puissance du XXIe siècle.
De la rente pétrolière au capitalisme d’État modernisé
Depuis l’annonce de la Vision 2030 en 2016, le Royaume s’est engagé dans une diversification accélérée de son économie, afin de sortir de sa dépendance à l’or noir. Cette stratégie repose sur plusieurs piliers : développement du secteur privé, ouverture aux investissements étrangers, montée en gamme technologique, et création de nouvelles filières (tourisme, culture, sport, santé, énergie verte).
Le bras armé de cette mutation est le Fonds d’investissement public (PIF), doté de plus de 700 milliards de dollars. Il permet à Riyad de prendre des participations massives dans des secteurs d’avenir – notamment les infrastructures, la tech, ou les énergies propres – tout en soutenant les grands projets emblématiques comme NEOM ou The Line.
Cette politique de transformation s’appuie également sur une réforme de l’administration, de l’éducation et du marché du travail, avec pour ambition d’aligner les compétences locales sur les besoins de la nouvelle économie saoudienne. La place des femmes s’en trouve renforcée, et la jeunesse est au cœur de la dynamique.
Mais ce changement s’accompagne d’un contrôle politique renforcé, centré sur la figure du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS). L’État reste l’architecte et le régulateur de la transformation, dans un modèle de capitalisme autoritaire assumé.
Une diplomatie d’influence au service de l’autonomie stratégique
Sur le plan international, l’Arabie saoudite adopte une posture plus affranchie, autonome et multipolaire. Le Royaume renforce ses relations avec la Chine (notamment sur les hydrocarbures, le nucléaire civil et la 5G), tout en maintenant ses liens avec les États-Unis, partenaires historiques et garants de sécurité.
Cette diplomatie d’équilibre s’incarne aussi dans le retour de Riyad sur la scène régionale : médiation avec l’Iran, dialogue avec Israël, poids croissant dans les négociations sur le climat et les marchés énergétiques. L’Arabie saoudite se rêve en leader du Moyen-Orient et en plateforme globale, au carrefour de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie.
Dans le soft power, le Royaume multiplie les initiatives : organisation d’événements culturels et sportifs d’envergure mondiale, ouverture touristique, mécénat culturel. L’objectif : changer l’image du pays, en rupture avec les représentations figées du passé.
Toutefois, ces dynamiques interrogent : quel équilibre entre ouverture économique et contrôle politique ? Quelle place pour la société civile dans un État en mutation rapide ? Et quelle cohérence entre la transition énergétique globale et la stratégie pétrolière du Royaume ?
Une puissance en transition, entre ambition et ambiguïté
L’Arabie saoudite 2.0 incarne une ambition assumée : devenir une puissance régionale centrale, économiquement diversifiée, diplomatiquement agile et culturellement visible. Mais cette transformation, portée par le haut, devra composer avec des contraintes sociales, environnementales et géopolitiques majeures.
Pour les partenaires européens et français, comprendre ces évolutions est crucial : de nouveaux champs de coopération émergent, mais aussi de nouvelles lignes de fracture. Face à cette mue, l’enjeu n’est pas seulement d’observer, mais de penser une relation stratégique renouvelée.