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Maintenir notre rang dans la « course à l’espace »

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maintenir notre rang dans la course à l'espace

Face à l’accélération des ambitions extra-atmosphériques mondiales, l’Europe et la France doivent repositionner leur politique spatiale. Derrière les enjeux technologiques, militaires et industriels se joue une compétition de souveraineté. Il est temps pour l’Europe de passer d’un rôle d’observateur à celui d’acteur majeur de la nouvelle économie spatiale.

Un secteur stratégique en pleine mutation

La filière spatiale est l’une des vitrines industrielles les plus structurantes pour la France, 3e puissance spatiale mondiale. Elle représente plus de 33 000 emplois et regroupe un écosystème dense, de grands industriels jusqu’aux start-ups du « New Space ». Les applications spatiales irriguent désormais tous les secteurs : télécommunications, sécurité, climat, transport, finance, agriculture… Une dépendance technologique devenue systémique.

Mais cet actif stratégique est aujourd’hui mis sous pression. Le paysage mondial évolue à grande vitesse sous l’impulsion des États-Unis, de la Chine ou de l’Inde, qui allient budgets colossaux, coopération institutionnelle et agilité privée. L’émergence d’un « Far West spatial » – peu régulé, concurrentiel, fragmenté – fragilise l’Europe, freinée par des retards industriels (comme Ariane 6), un morcellement de la gouvernance et une difficulté à mettre en œuvre des principes de préférence européenne.

Le « New Space », porté par des acteurs privés audacieux (SpaceX, Blue Origin, etc.), impose un changement de paradigme : miniaturisation, réutilisation, constellations, services en orbite… Les GAFAM eux-mêmes investissent les chaînes de valeur spatiales, de la donnée au lancement. En Europe, le réveil est amorcé, mais demeure inégal, avec une structuration encore hésitante des écosystèmes, notamment autour de l’initiative IRIS².

Faire du spatial un pilier de la souveraineté européenne

Pour répondre à la nouvelle donne, l’Europe doit sortir d’une posture défensive. Il ne s’agit pas de copier les modèles étrangers mais de s’appuyer sur ses atouts : excellence scientifique, écosystèmes industriels, expertise réglementaire, ambition stratégique.

Plusieurs priorités se dessinent :

  • Réaffirmer une gouvernance spatiale claire et coordonnée entre l’Union européenne, l’ESA et les États membres. Cela suppose de dépasser les logiques de retour géographique et d’assumer une stratégie industrielle collective.
  • Créer un marché institutionnel fort et cohérent, à l’image des grandes puissances. Cela passe par l’adoption d’un principe contraignant de préférence européenne pour les lancements et les services issus de la filière continentale.
  • Renforcer la formation et attirer les talents, en s’appuyant sur des pôles d’excellence comme Toulouse ou Saclay, tout en créant des cursus adaptés aux nouveaux enjeux : droit spatial, assurance, intelligence artificielle, data.
  • Développer la souveraineté technologique : lanceurs réutilisables, satellites souverains, systèmes de navigation et d’observation indépendants. L’initiative IRIS² est une première brique. Elle doit être amplifiée.
  • Imposer une voix européenne dans la régulation spatiale mondiale : gestion des déchets, normes de sécurité, accès aux orbites, exploitation des ressources… L’Europe a les capacités pour peser sur ces enjeux fondamentaux.

S’affirmer dans la conquête du futur

L’espace n’est plus un rêve lointain : il est un territoire stratégique, économique et symbolique. Pour préserver son autonomie, peser dans les nouvelles règles du jeu et inspirer un modèle de puissance responsable, l’Europe doit assumer une ambition spatiale offensive. La France, moteur historique du spatial européen, a un rôle central à jouer pour faire émerger une souveraineté collective dans cette nouvelle frontière.