
Minerais et métaux stratégiques : matière première d’une souveraineté en recomposition
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Au cœur de la transition énergétique et numérique, les métaux stratégiques deviennent l’ossature invisible de notre modèle industriel. Dans un monde en tensions, l’Europe et la France doivent rompre avec une dépendance critique et reconstruire une politique minière ambitieuse, intégrant exploration, transformation, recyclage et diplomatie des ressources.
Une dépendance structurelle face à une demande exponentielle
Le XXIe siècle marque l’entrée dans un nouvel âge des métaux. Lithium, cobalt, terres rares, nickel ou cuivre sont devenus indispensables à la fabrication des batteries, des éoliennes, des semi-conducteurs ou encore des équipements militaires. La transition énergétique ne fait qu’accélérer cette demande : l’Union européenne devra multiplier par 35 sa consommation de lithium d’ici à 2050, par 26 pour les terres rares, et par 10 pour le cobalt.
Mais l’offre ne suit pas. Les réserves connues sont très concentrées : Chine, Russie, RDC, Chili, Kazakhstan ou encore Ukraine. La Chine, en particulier, domine la chaîne de valeur de nombreux métaux, raffinant 95 % des terres rares et 60 % du cobalt mondial. Cette situation donne à Pékin un rôle de price-maker sur les marchés critiques, créant une vulnérabilité stratégique pour les États dépendants.
La guerre en Ukraine a souligné cette fragilité : elle a perturbé les chaînes d’approvisionnement, fait exploser les prix du nickel et du palladium, et impacté des filières industrielles entières, de l’automobile à l’aéronautique. En parallèle, l’Europe paie aujourd’hui des décennies de désindustrialisation : transformation des minerais, métallurgie, recyclage… la filière s’est délitée.
Vers une souveraineté minérale et industrielle assumée
Face à l’urgence, un sursaut stratégique s’impose. Il s’agit de reconstruire une souveraineté minérale sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’amont minier à la circularité. Premier levier : sécuriser l’approvisionnement. Cela passe par la constitution de stocks stratégiques, des participations dans des mines à l’étranger et une diplomatie des métaux active.
Deuxième levier : relancer une politique minière nationale. La France dispose d’un potentiel inexploité : lithium en Allier et en Alsace, nickel en Nouvelle-Calédonie, or en Guyane, ressources sous-marines dans sa ZEE. Des projets sont en cours, comme la raffinerie de lithium de Viridian Lithium dans le Bas-Rhin ou l’initiative EcoTitanium. Mais ces démarches nécessitent acceptabilité sociale, transparence environnementale, et accompagnement public.
Troisième levier : accélérer le recyclage. Le concept de « mine urbaine » – récupération des métaux contenus dans les déchets électroniques, les véhicules ou les éoliennes -peut répondre à 40 à 75 % des besoins européens d’ici 2050. Encore faut-il massifier les investissements, structurer les filières, et former les compétences techniques nécessaires.
Enfin, la France et l’Europe doivent investir dans la recherche sur les produits de substitution, développer des normes environnementales et sociales élevées (label « mine responsable »), et réactiver leurs capacités de transformation. Cela suppose une action publique coordonnée et soutenue : soutien aux ETI industrielles, simplification réglementaire, harmonisation européenne, et coordination stratégique via les PIIEC ou alliances européennes.
Une stratégie minière au cœur de la souveraineté économique
La souveraineté industrielle passe par la reconquête de nos ressources stratégiques. Le défi des métaux n’est pas uniquement technique ou environnemental : il est politique, géoéconomique, civilisationnel. L’Europe ne peut être durablement dépendante de puissances rivales pour les fondations de son modèle énergétique, numérique et militaire.
La France a des atouts, des acteurs engagés, un potentiel minier réel. Encore faut-il structurer une vision d’ensemble, articulée entre l’État, les industriels, les territoires et les citoyens. Réindustrialiser, recycler, innover, former : c’est à cette condition que les métaux redeviendront un levier de puissance.