Briefings Europe Ressources & Matérialité Risques et Résilience

Pour une finance stratégique et engagée

Télécharger le document (pdf, 829 Ko)
pour une finance stratégique et engagée (2)

À l’heure où les tensions géopolitiques, les transitions énergétiques et la dépendance aux marchés mondiaux bouleversent les équilibres économiques, la souveraineté financière émerge comme un levier central d’autonomie stratégique. Pour la France et l’Europe, il ne s’agit plus seulement de sécuriser leurs ressources, mais de reprendre la maîtrise de leurs capacités à financer l’avenir, en orientant l’épargne, en renforçant les outils de financement, et en rééquilibrant leur position dans l’ordre monétaire mondial.

Le retour de la souveraineté financière dans l’agenda stratégique

La souveraineté financière s’entend comme la capacité d’une nation ou d’un ensemble économique à mobiliser, allouer et protéger ses ressources financières selon ses propres choix, sans dépendre de décisions extérieures. Cette notion prend un relief particulier dans un environnement dominé par le dollar américain, qui reste aujourd’hui utilisé dans plus de 90 % des transactions mondiales et impose sa loi au reste du monde via l’extraterritorialité de son droit et la puissance de sa politique monétaire.

Face à cette hégémonie, l’Europe dispose de l’euro, deuxième devise mondiale, mais dont le rôle reste encore marginal. L’Union européenne pâtit de la fragmentation de ses marchés, de l’inachèvement de l’Union bancaire et de la dépendance de certains États à l’égard d’acteurs financiers non européens. Cette situation affaiblit sa résilience collective, en particulier dans les secteurs stratégiques (énergie, santé, défense, technologie) où la capacité à financer en autonomie devient cruciale.

La guerre en Ukraine, les tensions sur les chaînes d’approvisionnement, ou encore la montée des investissements américains dans la tech européenne ont révélé l’urgence d’une vision proactive et stratégique de la finance. Une souveraineté réelle suppose de structurer un écosystème capable de soutenir les entreprises nationales, attirer l’investissement long terme et protéger les actifs critiques de toute prise de contrôle non alignée avec les intérêts européens.

Mobiliser l’épargne, orienter les capitaux, faire levier sur la finance durable

Dans ce contexte, l’un des leviers les plus puissants à disposition est l’épargne des citoyens européens. En France, celle-ci atteint près de 6 000 milliards d’euros – soit deux fois le montant de la dette publique – et reste très largement sous-utilisée au service de l’économie productive. La mise en « circularité » de cette épargne vers les entreprises innovantes, les secteurs stratégiques ou les projets à impact peut devenir un facteur de souveraineté.

Des instruments commencent à émerger, à l’instar du Plan d’épargne avenir climat, de la création des statuts JEIC/JEIR ou du développement de labels ESG plus exigeants. Mais pour véritablement enclencher une dynamique, il faut renforcer la pédagogie économique, assouplir les dispositifs d’investissement comme le PEA ou le PER, et inciter les citoyens à investir dans l’économie réelle, à travers des supports compréhensibles, sécurisés, et porteurs de sens.

Dans le même temps, la finance durable représente une opportunité majeure de souveraineté : en redirigeant les capitaux vers des modèles économiques compatibles avec les objectifs climatiques, elle permet de renforcer l’autonomie stratégique tout en répondant aux exigences environnementales. La France, en pointe sur ces enjeux, doit consolider son avance, tout en veillant à l’efficacité et à la lisibilité des dispositifs.

Pour une souveraineté financière engagée, résiliente et européenne

La souveraineté financière ne se décrète pas, elle se construit. Elle suppose une vision partagée entre États, institutions, entreprises et citoyens pour faire émerger une finance réellement stratégique, au service du développement durable, de l’innovation et de la résilience.

La France dispose d’atouts majeurs pour jouer un rôle moteur : une épargne abondante, un écosystème financier structuré, une ambition politique affichée. Mais sans une Europe unie autour d’une vision commune – intégrant régulation, fiscalité, innovation et souveraineté – ces efforts resteront fragmentés.

Il est temps de faire de la finance un outil d’action et non de dépendance. Une finance capable de financer nos transitions, nos industries critiques, nos champions technologiques, et in fine, notre liberté de choix économique.