
Quelle place pour l’Europe dans la course à l’IA ?
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Dans la course mondiale à l’intelligence artificielle, l’Europe ne peut se contenter d’un rôle d’arbitre. Si le continent dispose de solides atouts scientifiques et réglementaires, il accuse un retard persistant en matière d’investissement, d’industrialisation et d’adoption. Pour transformer l’IA en pilier de sa souveraineté, l’Union européenne doit accélérer la structuration de son marché, la montée en puissance de ses acteurs et la coordination de ses politiques. Il y a urgence à bâtir une IA compétitive, éthique et pleinement européenne.
Une puissance scientifique sans leadership industriel
L’Europe figure parmi les pôles les plus actifs de la recherche mondiale en intelligence artificielle. Elle représente près de 40 % des publications scientifiques internationales et forme chaque année des milliers de talents de haut niveau. La France, en particulier, dispose d’une excellence académique reconnue, portée par des institutions comme l’INRIA, le CNRS, ou encore Polytechnique.
Pourtant, cette puissance scientifique ne se traduit pas encore par un leadership économique. Les investissements privés cumulés en IA en Europe sont très inférieurs à ceux réalisés aux États-Unis ou en Chine. En France, ils atteignent 6,6 Md$ entre 2013 et 2022, contre 249 Md$ aux États-Unis. Les acteurs européens peinent à passer à l’échelle, à lever des fonds massifs ou à sécuriser leur indépendance. Résultat : une dépendance persistante aux solutions américaines, tant sur les modèles fondamentaux que sur les infrastructures de cloud et de calcul.
L’adoption reste elle aussi modérée : en 2023, seuls 31 % des entreprises françaises intègrent des outils d’IA, loin derrière d’autres économies comparables. Le continent souffre d’un écosystème fragmenté, d’un manque de financements en phase de croissance, et d’un déficit d’infrastructures souveraines. Les talents formés en Europe continuent de migrer vers les États-Unis, attirés par les salaires et les perspectives de carrière.
Une IA souveraine, éthique et compétitive à faire émerger
L’Europe n’est pas absente de la stratégie IA : elle avance, mais de façon partielle. Le cadre réglementaire européen – avec le Data Act, l’AI Act et les stratégies sectorielles – offre une ambition forte en matière d’éthique, de sécurité et de protection des données. Mais il reste à coupler cette régulation exigeante avec une stratégie d’investissement et de déploiement à la hauteur.
Plusieurs leviers sont identifiés :
- Développer les infrastructures stratégiques : data centers souverains, cloud de confiance, accès sécurisé à l’énergie, calcul haute performance.
- Soutenir l’écosystème européen de l’IA générative : financement des modèles de fondation, valorisation des corpus multilingues, production de données européennes de qualité.
- Renforcer la formation : généralisation de l’enseignement de l’IA à tous les niveaux, reconversion massive, soutien aux filières scientifiques.
- Mieux flécher les financements : VentureEU, France 2030, Europe Next Gen… doivent cibler les projets à impact, avec des critères lisibles pour les startups et ETI.
- Accélérer l’adoption dans le secteur public : l’IA peut devenir un levier d’efficacité pour les politiques publiques (santé, éducation, énergie), à condition de bâtir une doctrine d’usage claire et partagée.
Enfin, la régulation ne doit pas freiner l’innovation. L’Europe doit défendre une régulation souple, proportionnée, adaptée aux usages à risque, et respectueuse des trajectoires industrielles. Le futur Office européen de l’IA aura un rôle clé pour garantir cet équilibre.
S’emparer de l’IA pour en faire une puissance d’avenir
L’Europe a tout pour réussir dans l’intelligence artificielle : des talents, une éthique forte, un marché exigeant. Mais il lui manque encore une capacité à transformer ses ressources en puissance stratégique. La souveraineté technologique ne se décrète pas : elle se construit par l’investissement, la coordination et la projection.