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Quelle stratégie française dans la course au quantique ?

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la deuxième révolution quantique

Au carrefour de la science de pointe, des usages industriels et des enjeux de sécurité nationale, les technologies quantiques ouvrent une nouvelle frontière technologique. Face aux ambitions américaines et chinoises, la France et l’Europe doivent impérativement structurer une stratégie de souveraineté autour de cette deuxième révolution.

Une rupture technologique aux applications critiques

La deuxième révolution quantique marque un tournant majeur dans la compréhension et l’exploitation des lois de la physique. Fondée sur les principes de superposition et d’intrication, elle permet d’envisager des applications aux performances radicalement supérieures dans des domaines clés : calcul haute performance, cryptographie, capteurs, télécommunications, ou encore simulation moléculaire.

Si les perspectives sont prometteuses, des défis scientifiques majeurs subsistent : décohérence, instabilité des qubits, goulots d’étranglement technologiques… La recherche fondamentale reste le socle. Mais l’enjeu est désormais de passer à l’échelle. Car derrière la complexité physique se cache une bataille stratégique pour des avantages compétitifs massifs. Selon le BCG, la valeur de marché créée par l’ordinateur quantique pourrait atteindre jusqu’à 850 milliards de dollars d’ici 30 ans.

La France bénéficie d’un terreau scientifique de premier plan et d’un écosystème industriel déjà structuré. Des pépites comme Pasqal, Quandela, Alice & Bob ou C12 couvrent une pluralité de technologies (atomes neutres, photoniques, silicium…). Le plan quantique de 1,8 milliard d’euros lancé en 2021 a renforcé l’ambition nationale. Mais face à des puissances comme la Chine (15 Mds $) ou les États-Unis (initiatives fédérales et R&D privée), l’effort reste insuffisant.

Structurer une souveraineté européenne face à la compétition mondiale

Le quantique n’est pas un sujet de laboratoire : c’est un levier de souveraineté. Son potentiel bouleverse la sécurité des communications, remet en cause la robustesse des infrastructures critiques, et transforme les capacités de défense. La cryptographie post-quantique, les capteurs de nouvelle génération ou encore la télédétection militaire sont déjà en cours de prototypage. Ne pas maîtriser ces briques revient à subir la dépendance technologique.

Or, malgré son excellence académique, l’Europe accuse un retard de coordination stratégique. Le Quantum Technologies Flagship ou EuroQCI ne couvrent qu’une partie de la chaîne de valeur. L’absence de guichet unique européen, le manque de mutualisation des efforts publics/privés, et la dispersion des initiatives nationales affaiblissent la dynamique d’ensemble.

Les États-Unis ont, eux, bâti un consortium public-privé intégré (QED-C), tandis que la Chine structure une stratégie centralisée au service d’un objectif géopolitique. L’Europe, forte de ses 5 000 chercheurs et 136 000 diplômés dans le domaine, doit désormais transformer son avance académique en puissance industrielle. Il y a urgence à créer une stratégie de filière européenne, à mobiliser davantage de capitaux privés et à intégrer les technologies quantiques dans les chaînes de valeur existantes (énergie, défense, santé…).

Le quantique, test de stress pour la souveraineté technologique

La révolution quantique met à l’épreuve la capacité des nations à anticiper, coordonner et investir dans le temps long. Pour la France et l’Europe, il ne s’agit pas simplement d’innover, mais de se positionner stratégiquement sur les marchés de demain. Sans une volonté politique claire, une mobilisation des fonds publics et privés, et une coopération intra-européenne renforcée, le risque est grand de voir les technologies critiques nous échapper.